Pourquoi, nous, les Marseillais, avons aimé Marcelo Bielsa
Par la rédaction du Phocéen
Publié le 10/08/2015 à 17:26
Ils ne pouvaient rêver meilleur départ. Pour la reprise, les consultants et spécialistes en tout genre du championnat de France ont vu arriver sur un plateau la tête de celui qui remettait en cause leurs certitudes, Marcelo Bielsa. Son départ précipité, après une défaite à domicile, est parfait. Ils peuvent dérouler leurs raisonnements faciles, qui débutent par le plus souvent par "Je vous l'avais dit", sans risquer d'être contredit. Au passage, ils peuvent glisser un petit tacle à ce public marseillais et à son amour pour Marcelo Bielsa, qu'ils n'ont jamais vraiment compris. C'est bien connu, ce que l'on ne maîtrise pas fait peur. Alors histoire de diminuer l'influence du Vélodrome, certains n'hésitent pas à le faire culpabiliser : c'est à cause du soutien populaire indéfectible à Bielsa que le club est plongé dans cette situation, l'entraîneur étant devenu bien plus important que l'institution. Une théorie fumeuse, qui revient à dire que les dirigeants marseillais sont démagogues si l'on pousse le raisonnement, mais qui porte ses fruits. Certains commencent à regretter d'avoir ainsi poussé derrière le technicien argentin. Il n'y a pourtant vraiment pas de quoi avoir honte.
Car si Marcelo Bielsa est devenu un dieu à Marseille, ce n'est pas parce qu'il avait en face un public limité qui ne demandait qu'à se faire manipuler. Par le passé, certains ont essayé, ils ont eu des problèmes. Non, Marcelo Bielsa est devenu une idole car il était en rupture avec ce football pourri qui rendait le Vélodrome un peu plus désert, semaine après semaine. En se contentant du strict minimum dans ses relations avec la presse, en refusant de parler avec les joueurs avant qu'il signe ou avec les agents, il s'est d'emblée présenté comme un entraîneur différent dans le paysage français. Une image d'incorruptible qui plaît, forcément, à Marseille. Bielsa, c'est un amoureux du jeu, quelqu'un qui demande beaucoup à ses joueurs. A une époque où les Olympiens refusaient de faire un tour de terrain en plus en fin de séance, forcément, cela collait un peu plus aux valeurs de la ville. Du coup, avant même la reprise, Bielsa avait déjà une partie du public dans la poche. Mais il a paradoxalement fallu attendre les deux premières journées pour voir la quasi-totalité se rallier à sa cause. Avec un nul et une défaite, Bielsa s'est fait attaquer dans tous les sens par les "ayants droits" de la Ligue 1. Un petit monde dans lequel le peuple marseillais ne s'est jamais trop reconnu et qui lui a encore plus donné envie de lier sa cause à celle de Bielsa. Par oppostion. Cela n'a été que mieux avec les résultats qui ont suivi. Huit victoires consécutives en Ligue 1 avec parfois les onze mêmes joueurs qu'Elie Baup pouvait aligner la saison précédente. Un jeu offensif qui a permis d'avoir la meilleure attaque de son histoire sur les trente dernières années. Pour autant, l'OM a fini 4e, perdant à Lyon, à Monaco, deux fois contre Paris, et même à domicile contre Caen ou Lorient. Mais dans les grands matchs, l'OM a fait honneur à sa devise, faisait tout pour essayer de gagner. Il n'y a ainsi pas photo entre les deux réceptions du PSG, celle où l'OM par son pressing parvient à faire douter le PSG en regagnant les vestiaires à 2-1 ou l'édition d'avant, quand les Parisiens refont leur avantage à 10 contre 11 face à une équipe qui ne tente rien ou presque. Enfin, il faut reconnaître également que la fameuse conférence de presse post-mercato, où il a chargé Labrune, a fait pour sa légende. Non pas que ce soit bien de taper sur le président de l'OM, mais alors que les supporters se doutent bien que les transferts phocéens ne sont pas ce qu'il se fait de plus net, quelqu'un s'est érigé contre ce système publiquement, mettant Labrune devant le fait accompli avec un cas hautement symbolique : Doria, un joueur détenu par des tiers et à qui on a fait déclarer qu'il était un choix de l'entraîneur, est resté sur le bas côté. Peu importe le montant de son investissement, peu importe les joueurs disponibles à son poste. Les habitués du Vélodrome savent bien que Bielsa n'est peut-être pas un coach au niveau de José Mourinho ou Pep Guardiola, sinon il serait lui aussi dans un club du grand 8 européen. Ses limites, notamment son incapacité à changer de système, ne sont ignorées par personne. Mais avec lui, pas de combines, pas de copinages, et du jeu offensif. A choisir, cela justifie quand même grandement un soutien contre vents et marées. Ce qui est incompréhensible, ce n'est pas que les Marseillais soutenaient Bielsa envers et contre tous, c'est que celui qui représente le plus leurs valeurs en restant hermétique au pouvoir, ce soit un entraîneur venu d'Argentine plus que les journalistes locaux ou les chefs des groupes de supporters.
Mais sa démission casse irrémédiablement quelque chose. Ce n'est pas le fait d'avoir menti deux jours auparavant en conférence de presse, la démarche et l'ironie n'étant qu'à la hauteur du préjudice qu'il estime avoir subi. Mais Marcelo Bielsa a cherché à signer ailleurs à l'intersaison. Et ça, il ne peut pas le justifier. Lorsqu'il parle de Vincent Labrune, il évoque "un lien de confiance rompu". C'est pareil entre lui et les supporters, qui sont en droit de se dire qu'il est resté à l'OM faute de mieux à l'intersaison. Si le club n'était plus sa priorité car ce qui se passait au-dessus de sa tête ne lui convenait pas, il aurait pu le faire savoir avant. Là, le message est forcément flouté. Comme les attentions de Bielsa pour les supporters ces dernières semaines : Il est légitime de se demander s'il n'y avait pas une part de manipulation là-dedans. Mais il ne faut pas tout confondre, ni le faire passer pour un imposteur qui aurait trompé son monde depuis le début. Pour rappel, au départ de Didier Deschamps, les dirigeants exprimaient un peu le même soulagement qu'aujourd'hui, se disant que le club était voué à aller dans le mur de toute façon avec un technicien borné et en conflit avec sa hiérarchie. Mais ça n'a éloigné le club de la crise qu'une saison tout au plus. Comme si le problème venait d'ailleurs...