L'OM, "Doyen" des clubs français ?
Par la rédaction du Phocéen
Publié le 06/09/2015 à 07:00
Doyen du foot français, l'OM, né en 1899, l'est presque, devancé de quelques années par Le Havre. Mais le jeu de mots est tentant, à l'heure où l'on évoque le rapprochement, fantasmé ou pas, du club de Margarita Louis-Dreyfus avec le fonds d'investissement Doyen Sport, basé à Malte et dirigé par l'énigmatique Nelio Lucas, fringant homme d'affaires portugais de 36 ans. Il faut dire que ce dernier n'a pas caché, récemment, souhaiter s'implanter en France, après avoir tissé sa toile au Portugal, en Espagne, et bien sûr en Amérique du Sud. Le porte-parole de Doyen ne cachait d'ailleurs pas son "entrée" à l'OM dans le dernier numéro du magazine "Enquêtes de foot" sur Canal Plus : "On a déjà apporté l’entraîneur et c’est déjà pas mal. Après, on peut soutenir Michel et l’OM dans ce qu’ils veulent, donc s’ils cherchent à renforcer l’équipe, Doyen est bien sûr disponible à aider le club et l’entraîneur."
Les fonds d'investissement pratiquent la fameuse TPO (Third Party Ownership, ou tierce propriété) désormais interdite par les instances européennes et internationales, un phénomène que connaissait bien le latino Marcelo Bielsa et qu'il aurait vu arriver gros comme une hacienda sur la Commanderie. C'est en tout cas ce qui se dit de plus en plus, comme nous l'explique un agent espagnol, interrogatif par rapport à l'arrivée de Michel, membre de l'écurie Doyen : "Pour moi, le départ de Bielsa n'est pas le fait du hasard. Lui qui est sud-américain et qui connaît parfaitement les pratiques de ces fonds, il a dû voir ce qui se tramait. Quand on voit que Michel arrive à l'OM après seulement deux jours de négociations et qu'il connaît tous les joueurs... Il devait être dans les starting-blocks depuis plusieurs semaines. Concernant Bielsa, qui était adoré par les fans, il n'était pas compliqué de le pousser à partir de lui-même. Il suffisait de retirer une clause dans son contrat pour lui faire péter les plombs et le pousser à faire ses valises. OK, c'est de la spéculation, mais ça tient quand même drôlement la route, non ? Pour le remplacer, il y avait beaucoup d'entraîneurs très intéressants. Personnellement, je pensais à Marcelo Gallardo (River), mais, soit ils n'ont même pas été contactés, soit ils ont été rapidement balayés, c'est bizarre..."
Bizarre, un qualificatif qui revient lorsque l'on évoque ces nouveaux poids lourds du football, capables d'alimenter les trésoreries de clubs en difficulté afin de recruter ou de vendre, voire de faciliter des prêts. Doyen Sport, ou Gestifute, la société de l'agent star portugais Jorge Mendes, ont ainsi mis la main sur Porto, Valence, l'Atletico Madrid ou encore Monaco en façonnant petit à petit leurs effectifs avec leurs joueurs ou leurs entraîneurs. Ces clubs prestigieux, en grandes difficultés économiques comme Valence, peuvent ainsi continuer d'aligner des équipes très compétitives, mais ont, de fait, perdu la main sur les affaires sportives. Une arme à double tranchant, poursuit notre expert espagnol : "Je ne dis pas que c'est malsain, mais c'est à prendre avec des pincettes. Les gens pensent que c'est le messie qui va leur amener de grands joueurs, mais c'est plus compliqué que ça. On le voit ici avec Valence, qui a été rachetée par les amis de Mendes. Certains pensent qu'ils vont injecter de l'argent à tout va et les emmener vers les sommets, mais il faut toujours garder à l'esprit qu'ils viennent faire de l'oseille, et basta. La preuve, les trois premiers joueurs qu'ils ont recrutés faisaient partie du fonds d'investissement. Ils ont dépensé plus de 100 millions, et la plupart des mecs appartiennent à Mendes. Si Doyen met un pied, puis deux à l'OM, il ne viendra pas faire de la figuration. Il viendra faire de l'argent."
Avec l'arrivée de Michel, le transfert d'Imbula à Porto (facilité et financé par Doyen), le débarquement inattendu du colosse Rolando, voire l'énigmatique opération Doria, la suspicion est ainsi lancée. Réalité ou théorie du complot ? On se gardera bien de se prononcer, n'ayant pas toutes les données entre les mains. De plus, MLD ne souhaitant plus jouer les vaches à lait, l'intervention, supposée ou réelle, de Doyen à l'OM n'est pas forcément une mauvaise chose pour les partisans de cette nouvelle donne, comme l'explique un agent français bien au fait des affaires olympiennes : "Il ne faut pas tomber dans une parano à la française avec ça. Si ces gens-là te permettent de financer une acquisition que tu ne pourrais pas faire naturellement, cela peut être une bonne solution. Après, il ne faut évidemment pas tomber dans l'excès portugais où 18 joueurs sur 20 vont faire partie du même fonds... Mais quand cela ne concerne que deux ou trois joueurs de ton effectif que tu ne pourrais pas te payer, ce serait idiot de refuser. Tout le monde cherche de l'argent, et quand il y en a, on va cracher dessus ? Il ne faut pas diaboliser, et garder le contrôle de ton effectif, c'est tout".
C'est justement le danger, car on a beau retourner le problème dans tous les sens, on y va tout droit, comme l'explique au Phocéen l'ancien président olympien, Christophe Bouchet : "Ces fonds permettent de contourner l'interdiction de posséder plusieurs clubs, et d'avoir un contrôle sur le plan sportif. Les Portugais ont lancé le système, avec notamment Jorge Mendes, et c'est assez effrayant, car les clubs et les coachs n'ont plus la main sur la composition de leurs effectifs et la gestion des transferts. De plus, à terme, cela va forcément entraîner du soupçon sur les résultats. Il faut aussi voir que l'on ne parle pas de chevaux, ni de vin ou de voitures de collection, on parle d'êtres humains. Cela pose un problème moral, et le football n'a pas besoin de ça".
Un autre président bien connu a récemment été confronté au problème, c'est Jean-Michel Aulas. Désireux de s'attacher les services du milieu international Espoirs espagnol de Malaga Sergi Darder, le boss lyonnais a dû composer avec l'intervention d'un fonds immatriculé en Colombie, propriétaire d'une partie des droits du joueur. En gros, Lyon, Malaga et le joueur s'étaient mis d'accord sur le transfert, mais le fonds réclamait une rallonge sur le tarif, bloquant ainsi l'opération. "Les problèmes que l'on a rencontrés, explique Jean-Michel Aulas au Phocéen, c'est que l'on discutait avec un club pour un joueur, mais que ce club n'était pas responsable à 100 % du joueur. Même avec l'accord du joueur et du club, on peut se retrouver dans une situation où le fonds n'est pas d'accord et bloque les négociations". Après plusieurs semaines de pourparlers, et un forcing du joueur, Darder a fini par signer à l'OL pour une douzaine de millions d'euros. Une happy end qui n'empêche pas Aulas de mettre en garde les clubs français, et donc l'OM, contre la tentation de s'offrir à ces fonds : "Personnellement, je ne souhaite pas entrer dans ce système-là. Monaco l'a fait, car il bénéficie d'une fiscalité et de principes juridiques avantageux. Si l'OM le fait, je crains qu'il ne s'expose à des retours de bâtons dans les mois ou les années à venir, car tout ce qui touche aux transferts est très réglementé ici. Il faut être très prudent avec ce genre de choses, surtout lorsque l'on représente comme nous des investisseurs côtés en bourse. Je ne dis pas que c'est fondamentalement une mauvaise chose, mais c'est comme l'utilisation d'agents mandatés par les clubs, ce sont des choses qui font l'objet d'une attention toute particulière du monde judiciaire. C'est là qu'il faut être prudent. Maintenant, je ne sais pas du tout si le fonds dont vous parlez intervient à Marseille, ce ne sont que des bruits."
En tous cas, certains le pensent fortement en se penchant sur les opérations du club ces derniers mois, même s'ils ne parlent pas de mariage officiel. C'est le cas de notre agent espagnol : "Il y a des manières détournées de s'implanter dans un club, en finançant des transferts ou en facilitant des prêts avec des obligations d'achat. On peut aussi acheter un club en Amérique latine et faire transiter les joueurs là-bas. En tous cas, ils veulent clairement s'introduire sur le marché français et l'OM est le club tout désigné, car il a besoin d'argent pour acheter des joueurs. Le fonds leur retire une belle épine du pied, et en même temps, il s'installe dans le club."
Jean-Michel Aulas n'écarte pas non plus l'arrivée des fonds sur le marché français, et leur implantation assumée dans un club : "Bien sûr que c'est imaginable, d'où l'interdiction par les instances internationales des TPO. Mais il y aura une adaptation et des contournements, car la finance a horreur du vide. Personnellement, je trouverais moins dangereux que l'un de ces fonds rachète carrément un club, car les règlements interdisent d'en posséder plusieurs, alors que lorsque cela se fait par le biais d'acquisitions de joueurs, cela peut être plus trouble en terme d'équité. Je lisais l'autre jour que lors du tour préliminaire de Ligue des Champions entre Valence et Monaco, il y avait sept joueurs d'un côté et six de l'autre appartenant à la même écurie, celle de Jorge Mendes. Cela ouvre la porte à beaucoup de questions sur le plan de l'éthique."
L'éthique, Christophe Bouchet la voit carrément foulée aux pieds avec l'arrivée de ces nouvelles pratique : "C'est quelque chose qui va précipiter le football français dans une crise inutile. Contrairement à ce que tout le monde dit, le football n'est pas dans une bulle spéculative, il y a une réelle économie crédible, avec des clubs qui ont les moyens et qui achètent des joueurs à d'autres qui en ont moins. C'est un business qui est, finalement, assez sain. Là, on introduit un instrument qui va créer obligatoirement des tensions. Ces fonds sont là pour contrôler un système où les plus-values sont les plus rapides et les plus importantes. On spécule sur les joueurs de manière très rapide avec, pour seul objet, de faire de l'argent. C'est le cas de Monaco où il n'y a plus de projet sportif, mais uniquement financier". Un danger qui pourrait s'abattre sur un OM charmé par la flûte magique de Nelio Lucas et de ses dollars dispos illico ? "Si c'est vraiment le cas, faute de prendre des mesures structurelles, on prend des mesures financières. Ces mesures de court terme témoignent d'une absence de stratégie. Les supporters peuvent être satisfaits par une ou deux arrivées spectaculaires, mais ils verront rapidement les choses leur échapper. Quand tu n'as pas l'argent, tu ne fais pas les joueurs, c'est comme cela que les choses doivent fonctionner. Là, Doyen met un pied dans la porte d'un édifice fragile. Les prochains épisodes du feuilleton nous en diront plus, mais quand on est débiteur de certaines personnes, c'est difficile de s'en sortir".
L'OM a peut-être trouvé ainsi la parade afin d'étouffer les rêves de revente formulés depuis des années par ses supporters. Ou pas... ce sera à Vincent Labrune de faire la lumière sur ce dossier un jour ou l'autre, s'il le souhaite. En attendant, la saison en cours nous donnera de précieuses indications sur le bien-fondé, ou pas, de ce nouveau projet plus vraiment "Dortmund".