Ex-OM : du paradis à l'enfer, raconté par Peter Luccin
Par la rédaction du Phocéen
Publié le 06/03/2021 à 15:00
Extrait de l'interview de Peter Luccin dans le dernier Phocéen Mag du mois de mars. En vidéo, retrouvez Luccin qui parlait il y a quelques années d'un autre coach argentin bien connu et, déjà, de sa carrière.
À l'été 1998, alors que la France est en pleine euphorie suite à la victoire en coupe du monde des Bleus, l'OM surfe sur cette vague. En effet, Robert Louis-Dreyfus a racheté le club un an auparavant et réussit le pari de relancer la passion olympienne de l'époque Bernard Tapie en investissant à grands coups de millions. Laurent Blanc, Christophe Dugarry, Robert Pirès, Fabrizio Ravanelli, Andreas Kopke, Eric Roy sont déjà là. RLD réussit de plus à attirer Rolland Courbis en provenance de Bordeaux, donnant ainsi une coloration marseillaise qui ravit les supporters. Coach Courbis, qui souhaite aussi apporter une touche de jeunesse, emmène dans sa valise un certain Peter Luccin, peut-être le milieu de terrain le plus prometteur de sa génération et que la France vient de découvrir avec les Girondins. Extrait de son interview fleuve dans le Phocéen Mag n°23.
Parlons de ta carrière à l'OM. On te découvre lors de la saison 97-98 à Bordeaux et tu suis Rolland Courbis l'été suivant...
PL : "Voilà. C'est un grand souvenir. Je me retrouve dans un groupe extraordinaire, avec Rolland et surtout un joueur hors normes, au-dessus du lot qui s'appelait Laurent Blanc. Il y a tous les autres, bien sûr, mais je parle tout de suite de lui parce qu'on n'imagine pas ce que c'est d'avoir 19 ans et de côtoyer un tel joueur. Par ses paroles et par ses actes, il m'a transformé. Il me suffisait de le regarder. Jouer à ses côtés, en match comme à l'entraînement, était quelque chose de magique. On a l'impression que rien ne peut vous arriver avec lui. Il a été la clé de ce groupe et de cette saison quasi parfaite".
Quasi parfaite, parce qu'il y a cet effondrement sur la fin qui va vous coûter un titre qui vous était offert ?
PL : "Ce n'est pas qu'on s'effondre, mais on va un peu se disperser lors du dernier quart de la saison et très mal négocier des matches-clés. On perd 4-1 à Bordeaux, le futur champion, à Toulouse (1-0) deux semaines plus tard, on fait match nul (0-0) à Sochaux... Et puis on perd à Paris (2-1), alors qu'on n'aurait jamais dû perdre là-bas. On a tous mal géré cette fin de saison, peut-être parce qu'on se voyait champions avant l'heure. On n'a pas été présent aux bons moments".
Il y a aussi ce PSG-Bordeaux qui a fait beaucoup parler...
PL : "Oui, c'était un match bizarre on va dire, mais on ne peut pas critiquer Paris d'avoir pris ce match à la légère. C'était à nous de faire le nécessaire bien avant et on ne l'a pas fait, on ne peut s'en prendre qu'à nous-mêmes. Après, c'est quand même une saison extraordinaire avec cette finale face à Parme, même si on était plusieurs à être suspendus après les incidents de Bologne en demi-finale (bagarre dans le tunnel des vestiaires). Maintenant, on est tombé sur le meilleur Parme de l'histoire, avec Thuram, Boghossian, Canavarro... ça reste un grand moment".
Parme était énorme, mais l'OM de l'époque aussi ?
PL : "Bien sûr, avec les champions du monde, Fabrizio, Gallas... Après 90-93, c'est pour moi la plus belle équipe de l'OM. Mais elle n'a pas duré. Encore aujourd'hui, cette fin de saison est une énorme déception".
Tout s'écroule la saison suivante, alors que les espoirs étaient énormes non ?
PL : "Oui, mais j'en reviens à Laurent Blanc, parce que tout part de là. Son départ a déclenché tout le reste. On avait une super équipe sur le papier, mais c'est lui qui dirigeait sur le terrain. Sans lui, on n'avait plus le leader qui nous guidait. Robert (Pirès) en était un, mais sur le plan technique. Il était énorme, mais il ne pouvait pas gérer le vestiaire comme le faisait Laurent. C'est fou qu'on l'ait laissé partir, d'autant que ce n'était pas sa volonté et que le vestiaire voulait qu'il reste. Le club s'est tiré une balle dans le pied, d'autant que les problèmes hors terrain se sont enchaînés par la suite".
De gros problèmes même, avec le départ de Blanc, du président Roussier, puis celui de Courbis en novembre... et les supporters qui se révoltent !
PL : "C'est fou comme ça tient à de petits détails. Cette équipe, il fallait y faire de petites touches pour la rajeunir, comme l'arrivée de Stephane Dalmat par exemple. Mais il fallait conserver la colonne vertébrale, et ça ne s'est pas fait. On n'a pas mal commencé, mais ça se dégrade en octobre avec une défaite à Lyon et une autre à Bordeaux en une semaine. Puis arrive un match à Saint-Etienne où on perd 5-1, et là c'est fini. On sait que les supporters nous attendent à un péage pour nous bouger. Du coup, on décide de rester la nuit dans un hôtel. Puis il y a la défaite au Vélodrome quelques jours plus tard contre Lens (2-1), et là, le contact avec les supporters est vraiment chaud, ils tentent même d'envahir la pelouse, ils nous attendent sur le parking... Pour des Marseillais comme moi ou Patrick Blondeau, c'était différent, car on savait que ça se passait comme ça. Mais, pour les autres, c'était vraiment traumatisant. Notamment lorsque des supporters montent à La Commanderie après Saint-Etienne et cassent des voitures. On est en décembre et on sait que la saison va être un calvaire. Bernard Casoni a remplacé Rolland, mais il n'a pas pu enrayer la chute. J'en ai souvent parlé par la suite avec Eduardo Berizzo, avec qui je suis ami depuis le Celta Vigo, et il n'en revient toujours pas, alors qu'il a quand même longtemps joué à Boca Juniors (rire). Mais ce n'est pas une excuse, on n'a pas été à la hauteur, c'est tout. On a fait un seul match de guerrier, c'était le dernier à Sedan (2-2) pour éviter la relégation. Il y a aussi la victoire contre Monaco (4-2) au Vélodrome, avec toutes les polémiques que l'on sait, mais on a tout donné sur le terrain".
Plus de 20 ans plus tard, on retrouve les mêmes périodes de crises à l'OM. Comment regardes-tu ça depuis Dallas ?
PL : "De près, car j'ai encore beaucoup d'amis à l'OM. Au-delà des problèmes de personnes, j'ai l'impression qu'il n'y a pas une véritable vision de ce que doit être le club sur la durée. Et ce n'est pas nouveau. Ce n'est jamais clair, ça change tout le temps et ça crée forcément du chaos, comme on a pu le voir cet hiver. Mais, au milieu de tout ça, je tiens à rendre hommage au travail de Nasser Larguet que j'ai connu à la formation à l'AS Cannes. Il a ramené beaucoup de sérénité et c'était primordial. Maintenant, on va voir comment ça va se passer avec Sampaoli, un coach que j'ai étudié. Il prône un certain jeu offensif et surtout des attitudes sur le terrain qui peuvent plaire à Marseille. Après, il va falloir que les joueurs adhèrent, et ça, c'est autre chose. Mais ça va être intéressant à suivre".